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vignal cherubiniC’est peu dire que, après avoir rayonné sur le Paris musical du début du XIXe siècle, l’étoile de Luigi Cherubini a pâli. Dans sa dernière biographie éditée par Bleu Nuit, Marc Vignal revient sur cette figure incontournable de l’histoire de la musique, admirée de Beethoven, Weber, Brahms et tant d’autres. Compositeur d’opéras, de musiques religieuse et de chambre, caméléon politique qui sut traverser sans dommage la Terreur, l’Empire et le Consulat, Luigi Cherubini dirigea pendant vingt ans le Conservatoire de Paris d’une main de fer, élevant cette institution à un niveau d’excellence inédit.

À quelle génération appartient Luigi Cherubini ?

À celle située entre Mozart et Beethoven. Mais, aux côtés de Viotti, Méhul et Lesueur, Cherubini se place en dehors du classicisme viennois. Ces musiciens ont en quelque sorte fondé une tradition française (celle du début du XIXe siècle), dont Berlioz sera le point d’aboutissement.

Difficile de classer ce musicien italien installé à Paris, dont l’harmonie fut souvent taxée de germaniste !

Cela lui a en effet joué des tours, la postérité lui reprochant généralement de ne pas avoir d’identité nationale bien affirmée. Cherubini a quitté l’Italie à vingt-quatre ans pour n’y plus jamais retourner, a été influencé par la musique française mais aussi par Gluck et surtout Haydn. Il s’établit à Paris au moment où y furent créées les Symphonies parisiennes.

 

Sa rivalité avec Berlioz comme la diligence avec laquelle il appliquait les règlements au Conservatoire de Paris brossent un caractère peu amène !

Pour Berlioz, Cherubini, en tant que directeur du Conservatoire, incarnait l’autorité. Il s’est rebellé contre ça, bien qu’il n’ait jamais été son élève – il était l’élève de Lesueur et de Reicha. En même temps, Berlioz salue la qualité de sa musique, notamment son Requiem en ut mineur. Mais il n’a pu s’empêcher, dans ses Mémoires, de fustiger son autoritarisme et de lui prêter de mauvaises intentions à son adresse. On a en outre beaucoup reproché à Cherubini son attitude hostile à l’égard des musiciens étrangers, alors qu’il se contentait d’appliquer le règlement du Conservatoire (dont il n’était pas l’auteur).

Quel est l’héritage le plus manifeste de Cherubini ?

C’est difficile à dire. C’est un peu un compositeur sans descendance. Son rôle le plus manifeste se situe dans le domaine de l’opéra français, dont il est un précurseur : songez que la majorité de ses opéras, si l’on excepte Les Abencérages et Ali Baba, a été composée avant 1800 ! On comprend que certains d’entre eux aient eu une forte influence sur Beethoven, lequel déclarait, en 1817, que le plus grand compositeur vivant – à part lui – était Cherubini.

Cherubini semble s’être intéressé successivement à l’opéra, la musique religieuse puis la musique de chambre. Comment expliquer cet intérêt exclusif pour un genre particulier ?

Il avait composé déjà huit opéras en Italie. Quand il s’est installé à Londres puis à Paris, il était considéré comme un compositeur d’opéras. D’abord dans la lignée de Gluck, puis celle de l’opéra comique français, avec dialogues parlés (Lodoïska). Jusqu’à Anacréon (1803), il composait des opéras. La musique religieuse est le fruit de commandes : la Messe de Chimay, puis la Messe en ré mineur lorsqu’il est engagé par le Prince Esterhazy qui n’aimait que la musique religieuse, puis plusieurs œuvres de circonstance écrites en qualité de surintendant de la musique de Louis XVIII. A l’initiative de son ami Baillot, qui inaugure des concerts publics de musique de chambre, il se met à composer des quatuors.

Selon vous, Médée fonctionne-t-elle mieux en français ou en italien ?

Il conviendrait de revenir à la version originale en français, avec dialogues parlés. Malheureusement, il n’y a pas d’enregistrements audio de cette version, seulement deux DVD. Certains n’aiment pas les dialogues, prétextant qu’ils alourdissent la représentation. Je pense au contraire qu’ils sont nécessaires – quitte à être abrégés – à la continuité dramatique. Imagine-t-on La Flûte enchantée ou Fidelio sans aucun dialogue ?

Comment expliquer l’admiration que lui vouaient les compositeurs allemands, notamment Beethoven et Brahms ?

Sans doute en raison de la force dramatique de ses opéras (nombreux ensembles, dynamisme, orchestration) et la qualité de son artisanat musical, notamment contrapuntique. À la fin de sa vie, Cherubini était surtout apprécié en Allemagne.

Quelles sont ses œuvres les plus significatives ?

Je dirais l’ouverture d’Anacréon, longtemps inscrite au répertoire des grands chefs d’orchestre (Markevitch, Furtwängler, Toscanini…), qui possède une forme très originale et un thème du début très envoûtant ; l’opéra Les Deux Journées, pour son mélange détonnant du savant et du populaire ; enfin le Requiem en ut mineur, sans doute son œuvre la plus célèbre et la plus enregistrée.

Propos recueillis par Jérémie Bigorie

Marc Vignal, Luigi Cherubini, Bleu Nuit éditeur, 2017