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bohuslav martinu
Bohuslav Martinu (photo DR)

Pour honorer Guy Erismann, fidèle « tchéquophile », les musicologues pragois organisèrent un colloque évoquant Martinu et la France (1997). Je suggérai d’emmener avec nous Manuel Rosenthal, interprète de la première heure. Alors âgé de 93 ans, l’illustre disciple de Ravel hésita puis me proposa un entretien dont nous pourrions disposer. Un passionnant après-midi, rue du Moulin des Prés, donna naissance à l’interview très informée qu’on va lire. Les questions ont été résorbées : restent l’effervescence d’un témoin vigilant, sa vivacité, son franc parler. Il a paru nécessaire de laisser sans apprêts ce français parlé, improvisation zigzagante, qui, pour Prague, dut être purgée de quelques aspérités… On trouvera ci-dessous cet entretien intégral, significatif en ses redites comme en ses insolences.

Marcel Marnat

 

« Je l’ai connu probablement en 25-26, par là. Il était déjà dans un groupe de compositeurs étrangers dont Tibor Harsanyi, Marcel Mihalovici, Conrad Beck et, d' une façon plus épisodique, Alexandre Tansman... Un groupe de Montparnassiens, mêlé à beaucoup de peintres… On a parlé d’ une « École de Paris », beaucoup ont disparu. Alors Martinu, pour en venir tout de suite à lui, bon, physiquement, c'était un grand type mince qui nous agaçait un peu parce qu’il arborait toujours un sourire doux mais ironique.

Tous parlaient bien le français, comme lui, avec plus ou moins d'accent. Lui on l'entendait peu. Il parlait peu et on avait toujours l'impression qu'il nous jugeait. Il avait ce sourire à la fois gentil, doux, mais ironique et on sentait qu'il nous jugeait et, alors, on se sentait, un petit peu, je ne dirais pas respectueux mais déférents, tout de même, pour une raison toute simple, n'est-ce pas : il était un symphoniste. Certes, il avait 35 ans et il était déjà, je ne dis pas « vieux » mais plus vieux que la plupart d'entre nous. Mais ce n’est pas tellement ça qui comptait : c’est que, musicalement, très vite, on s'est aperçu qu'il écrivait beaucoup (il a toujours beaucoup écrit, de tout) et ce qui nous a surtout, tous, flanqués par terre c'était qu' il était symphoniste. Nous écrivions, bien sûr, des œuvres pour orchestre mais lui écrivait dans un style symphonique. Il allait écrire beaucoup de symphonies, six, mais aussi des concerti pour piano, très bien écrits, très brillants... De tout ! C'était une musique qui n'apportait rien de bien nouveau et le lyrisme de Martinu nous semblait tout à fait brahmsien, par ses longues phrases employant énormément les cordes (c'est par là qu'il se distinguait essentiellement). Il était violoniste de formation et puis il faut se souvenir qu'à l'époque, la Philharmonie Tchèque, sous la direction de Vaclav Talich avait une renommée MONDIALE. C'était l'un des plus grands orchestres du monde et le quatuor, les cordes, de cet orchestre, était réputé pour être le meilleur du monde.

(à suivre...)